Je ne sais pas vous, cher lectorat attentif, mais moi, parfois, j’écris des chansons.
J’aime les bateaux
J’aime les bateaux
Qui vont sur l’eau
Les caravelles les tornados
J’aime les navires
C’est rien d’le dire
J’aime les sentir
Mais pas les tonnes
De gas-oil du Torrey Canyon
J’aime les bateaux
Qui vont sur l’eau
Les trirèmes et les fiers vaisseaux
J’aime les voiliers
Et respirer
Le souffle des alizés
Mais pas le vice
Des armateurs de l’Amoco Cadiz
J’aime les bateaux
Qui vont sur l’eau
Les trimarans les p’tits canots
J’aime les esquifs
Frêles et naïfs
Même les récifs
Pas l’pétrole pouah
Qui sort de l’Erika
J’aime les bateaux
Qui vont sur l’eau
Les pirogues et les paquebots
J’aime les gondoles
Les escadres en farandole
Et le papier dans les rigoles
Mais pas l’essence épaisse
Des cuves de l’Exon Valdez
Les armateurs
Gagnent de l’argent
En pollueurs
De nos estrans
Vendeurs de boue
Charrieurs de mort
Rentrez chez vous
Joignez vos ports
Oubliez-nous
Oubliez-nous
Les pétroliers
Galères modernes
Viennent souiller
Drapeaux en berne
Les côtes bretonnes
Les rias les abers
Exxon Valdez Torrey Canyon
Poubelles des mers
Erika Amoco Cadiz
Souffrez un peu qu’on vous honnisse
À quand au fait
Un rail d’Ouessant
Bien propre et net
Un carburant
Vert écolo
Qui permettrait
D’laisser nos eaux
En paix
Et de sortir les épuisettes
Pour aller pêcher la crevette…
( comme je suis une buse en musique qui ne fait pas la différence entre une clé de sol et une clé à molette, je cherche à placer ce texte chez un musicien avare de mots ; si vous connaissez Laurent Voulzy ou Thierry Hazard, merci de transmettre )
Quand j’étais petit, je passais deux mois d’été à la plage. Ma famille possède une modeste maison sur le littoral nord du Finistère, et mes parents se délestaient allègrement de leur progéniture pendant les grandes vacances sous la surveillance de mes grands-parents en juillet, et sous celle de jeunes filles désœuvrées en août. Avec mes copains, l’une de nos activités favorites consistait à creuser des trous le plus profond possible dans le sable. Lors de nos excavations siliceuses, il arrivait fréquemment que nous rencontrions des galettes. Pas de ces horribles galettes-saucisses, qui, reconnaissez-le, auraient présenté une curiosité géologique, mais des galettes de coaltar. Oui, nous appelions cela le coaltar. Plus rarement le goudron. Je vous parle d’une époque où les dégazages sauvages au large étaient monnaie courante. Une époque au cours de laquelle nous pouvions apercevoir le château des pétroliers sans nous munir de jumelles. Une autre époque. Le coaltar collait à la peau comme un brennik à son rocher. Le seul moyen vraiment efficace pour nous débarbouiller était le beurre (salé) que ma grand-mère appliquait généreusement sur nos plaies d’hydrocarbure (en réalité, il y avait le Xylol, mais du beurre, on en avait plein le frigo).
Je me souviens très clairement du 16 mars 1978. C’était un jeudi. Il faisait beau pour une fin d’hiver bretonne, mais la nuit précédente le vent avait soufflé très fort sur la côte. En fin de matinée, une odeur suspecte a envahi le collège. Immédiatement, les bâtiments ont été évacué car l’on suspectait une fuite de gaz. Pourtant, cette odeur douceâtre n’avait rien à voir avec le produit ajouté dans le gaz domestique, inodore à la base. Il s’agissait d’émanations écœurantes, plutôt indéfinissables. D’une manière ou d’une autre, les autorités ont prévenu les administrations car nous avons assez vite réintégré nos salles de classe.
L’Amoco-Cadiz s’était échoué dans la nuit au large de Porspoder. Il est intéressant de noter que le bateau se trouvait, à vol d’oiseau, à près de cent kilomètres de mon école. Les vents d’ouest dominants transportaient sans efforts les miasmes vers nos capteurs olfactifs. Le samedi après-midi, mon géniteur décida d’embarquer ses gosses pour aller voir les lieux (pour une fois que nous faisions une sortie en famille…). Jamais je n’oublierai toute une série d’images. Tout d’abord la foule. Nous avions dû nous garer très loin du rivage car nous n’étions pas les seuls curieux. Loin de là. Après une bonne marche, nous avons découvert un spectacle édifiant. L’immense navire était parfaitement visible car la marée était basse. Sa proue pointait en direction de la terre comme pour narguer le peuple breton qui avait déjà calculé les effets de la catastrophe. Nous sommes rentrés en longeant la côte. Sur des kilomètres, sans interruption, les plages étaient recouvertes d’une épaisse couche de pétrole brut. La couleur vous aurait surpris. Ce n’était pas noir, même pas marron-caca. Le produit qui se déposait sur le sable fin et qui mettrait des décennies à disparaître (presque) complètement ressemblait étrangement à des marrons glacés, plus exactement à de la crème glacée saveur marron glacé. C’était glaçant.
(à suivre)
Non, mais sérieusement.
Gifnem29
Bon jour,
Le texte a une bonne tournure et la prose tient bien les flots sur cette dure réalité pétrole-mortifaire …
Max-Louis
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Gast… ! C’est étrange… J’ai l’impression que tout ce que tu racontes sur ton enfance en Bretagne, je l’ai moi-même vécu !
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Serais-tu mon double astral ?
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P’tête…? En tout cas, j’ai vu l’Amoco Cadiz en 78 ! J’étais moi aussi dans le coin de Portsall, cet été-là… (Le Monde est petit, hein ?!).
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