Le petit chemin qui sent la bêtise

Je ne sais pas vous, cher lectorat attentif, mais moi, parfois, je me demande.

Au risque de me perdre et de devoir défier le couvre-feu, cette après-midi, j’ai décidé de suivre l’ordonnance de mon médecin et d’aller me promener, d’un bon pas, dans le quartier. On connait mal sa proximité déambulatoire. Au bout de cinq cent mètres le long de la départementale, j’osais l’aventure et bifurquais dans un sous-bois, de moi inconnu. Mon sens olfactif fut immédiatement assailli par les odeurs de ce doux hiver breton, et pas uniquement parce que la station d’épuration se trouve juste à côté. Le fumet de l’humus associé au parfum de bois fraîchement coupé me titillait agréablement les narines malgré le masque sanitaire que je dois être un des seuls à porter dans un sous-bois désert.

Je suivais un sentier à peine tracé par les chaussures de marche des retraités désœuvrés lorsque je me rendis compte que le chemin était entretenu car des troncs portaient l’infamante marque de la tronçonneuse assassine (d’où l’odeur de bois coupé). Je n’avais pourtant pas croisé les célèbres jalons jaunes ou rouges annonçant un des sentiers balisés qui sillonnent les campagnes de France. Les branches abattues étaient négligemment abandonnées en retrait du chemin de sorte à ne pas entraver la marche de Jeanine, 79 ans aux prunes et une cataracte mal soignée, ou celle de Roger, ancien combattant d’Algérie, handicapé par sa hanche en pastique. De fait, je lorgnais sur tout ce bois condamné à pourrir sur place alors qu’il rendrait de fameux services dans les cheminées des plus modestes. Tout à mes pensées, je ne remarquais pas un homme qui s’était approché de moi, les sourcils broussailleux froncés, la lippe tombante et le regard fuyant.

-Z’avez pas droit !

-Bonjour également monsieur. Pardonnez-moi, que m’est-il interdit de faire ? Marcher dans ces sous-bois ? M’y arrêter ? Respirer le bon air ?

-Z’avez pas droit de ramasser du bois mort.

-Très bien, je le note. Comme vous semblez un peu suspicieux à mon égard, je vous propose de constater que mes mains sont vides. Quant à mes poches, bien qu’elles soient plutôt étroites, je vous suggère de les fouiller juste après m’avoir présenté les documents afférant à votre autorité administrative.

-Z’avez pas droit.

Le disque rayé ne semblait pas vouloir me lâcher les basques, je continuais donc ma balade non sans jeter un coup d’œil régulier par dessus mon épaule car j’ai vu le film « Délivrance ». J’allais quitter le couvert des arbres nus quand quelqu’un me héla. Je me retournais un peu circonspect et avisais une branche morte qui me faisait signe de sa ramure tordue. Ses nœuds semblaient me supplier de ne pas l’abandonner à son triste sort. Comme je suis un rebelle des temps incertains, je saisissais délicatement le membre amputé et le traînais jusqu’à chez moi au risque de croiser la maréchaussée et son carnet de contraventions.

Cet acte illicite aurait, en effet, pu me valoir quelques ennuis. Le rustre au lexique limité avait raison. Tout comme au Moyen-Âge, il est strictement interdit de ramasser du bois mort dans un lieu public, qui ne l’est sans doute pas car, dans notre pays, chaque parcelle de terrain appartient à quelqu’un. Il s’agit donc de vol pur et simple. Mais au-delà du larcin, prélever du bois mort dans un sous-bois participe de la destruction de la biodiversité. Or, je suis un garçon très biodiversifié. Je pense constamment aux fioutoures générachionnes. Donc, dès demain aux aurores, j’irai me livrer, pieds et poings liés, à la gendarmerie de ma contrée, mon butin à la main.

La décomposition des déchets verts est indispensable pour que l’humus puisse se reconstituer d’une année sur l’autre. Donc, le bois mort doit rester sur place pour opérer la magique transformation de la terre. Pendant ce temps, les miséreux peuvent se cailler les meules et mourir à petit feu, à tout petit feu. Mourir aujourd’hui pour préserver demain.

Les paradoxes de notre espèce ne cessent de me surprendre. Les décharges de produits dangereux pullulent, les dirigeants se disputent comme des gamins autour d’une table pour décider de la réduction des gaz à effet de serre, un connard milliardaire pollue l’espace. Dans ma ville, des abrutis ont collé des stickers près des grilles d’égout sur lesquels on peut lire : »Ne jetez rien, la mer commence ici ». Ne jetez rien dans les égouts !

Je m’en fous. Dorénavant, à chaque fois que j’irai me promener, je ramasserai une branche morte, que ça vous plaise ou non.

Non, mais sérieusement.

Gifnem29

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6 commentaires sur “Le petit chemin qui sent la bêtise

  1. Tu ramasseras autant de branches mortes que tu voudras et tu auras raison ! Ce rigolo au vocabulaire limité qui se limite au règlement sans réfléchir aux réelles conséquences de tes actes à tort.
    Quant à cette interdiction de ramasser du bois mort dans un bois public, elle est débile haut plus haut point et sûrement a-t-elle décidée par des bureaucrates sortis d’une grande école, des hommes qui ne connaissent rien à la nature et au vrai renouvellement des forêts.
    S’ils pensent que ce sont quelques branches ramassées qui anéantissent nos forêts, ils se fourrent les doigts dans les yeux ! Comment faisaient les anciens et nos ancêtres qui ramassaient leur bois pour alimenter l’âtre au quotidien ? Et pourtant les forêts n’ont pas été anéanties par eux que je sache ! Ramasse autant que tu veux, ramasse car l’humus qui entretient la terre est avant tout fabriqué par les feuilles mortes et les brindilles.
    Alors arpente ces chemins de la bêtise et envie ch… ceux qui pondent de tels textes !

    Aimé par 1 personne

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