Fait divers

Je ne sais pas vous, cher lectorat attentif, mais moi, parfois, je me demande.

L’autre jour, je vous ai conté, avec talent, mes péripéties lors de mon installation dans un appartement à Saint-Brieuc, riante cité costarmoricaine. Mais ces histoires de fenêtres ne sont que peanuts par rapport à celle que je m’en vais vous narrer.

Je précise, pour les ronchons, que ce qui suit est rigoureusement exact.

Alors, prenez votre tisane sur les genoux et préparez-vous un chat bien chaud avec une touche de miel.

Lorsque j’emménageais dans cette résidence de dix-huit logements (trois bâtiments divisés en six logements), les appartements n’étaient pas encore désertés. Il y régnait une sympathique ambiance, sans que mes voisins se montent envahissants. J’habitais au premier, et les deux logements du rez-de-chaussée étaient occupés par deux jeunes femmes, l’une avec son fils, l’autre avec sa fille, deux gamins ayant sensiblement le même âge, six sept ans.

Petit à petit, nous fîmes connaissance. Aucune des deux ne travaillait. L’une (Anne) car elle s’occupait de son fils handicapé léger, l’autre (Marie) parce qu’elle en était incapable.

Un jour, j’eus la surprise de recevoir une invitation à diner chez Anne. Malgré mon insociabilité, je mis un caleçon propre, achetai des fleurs et sonnai à sa porte à vingt heures tapantes. Nous étions trois convives. Anne, Marie et moi. Comme je suis grand psychologue, pendant l’apéritif, je me prêtais à une fine étude des êtres humaines qui m’accompagnaient. Anne, notre hôte, est une femme joviale, rieuse, lumineuse. Un peu ronde, elle respire la santé. Marie est son inverse exact. Petite, maigre comme un clou, elle ne cesse de parler d’elle et de la société qui ne lui fait aucun cadeau, ce faisant, elle fume cigarette sur cigarette (alors que je m’abstiens car Anne ne fume pas) et écluse verre de vin blanc sur verre de vin blanc. Au dessert, Marie est ivre morte, et Anne et moi devons la porter sur quelques mètres jusqu’à chez elle (sa petite fille est chez sa grand-mère à une rue de là). Anne et moi terminons la soirée de manière plutôt agréable.

Quelques jours plus tard, je croise Marie dans l’escalier. Clope au bec et visiblement ivre, elle m’agonit d’injures au milieu desquelles je crois comprendre qu’elle me reproche ma liaison avec Anne. J’en reste comme deux ronds de flan, mais oublie assez vite l’incident.

Au fil des semaines suivantes, Anne me raconte les déboires de notre voisine. Elle rentre tard, ivre, et souvent accompagné d’un homme, ou de plusieurs, qui n’appartiennent certes pas au Rotary local. Après tout, elle fait ce qu’elle veut. C’est parfois un peu bruyant, mais supportable. Ce qui l’est moins, ce sont les conditions de vie de la gamine que je croise, à plusieurs reprises, seule sur le seuil de l’appartement fermé. Anne et moi discutons de cette situation épineuse, et nous décidons d’aller en parler à la grand-mère. Anne s’en charge.

Le surlendemain de notre discussion, je rentre chez moi à midi. Je passe par les caves car elles donnent sur le parking. Lorsque je débouche dans le hall, je tombe nez à nez avec une vingtaine de gendarmes et de policiers qui ont investi l’immeuble. Ils me demandent fermement ce que je fais en ces lieux. Un peu fâché, je précise que j’aimerais rentrer chez moi, ce qu’ils acceptent. Dix minutes plus tard, on frappe à ma porte. C’est un policier peu loquace qui me tend une convocation pour l’après-midi même sans s’inquiéter de mon emploi du temps.

A 14H30, j’apprendrai l’horreur. C’est la gamine qui a appelé les secours quand elle s’est rendu compte que sa mère, allongée sur le parquet du salon, ne se réveillait pas. Les pompiers ont découvert une femme morte, le crâne enfoncé, un homme profondément endormi dans le lit et une gamine tétanisée près du corp de sa mère. L’enquête a pris dix minutes. L’homme est un marginal connu des services de police. Il plaidera l’accident.

Je pense souvent à cette gamine qui malgré ses conditions de vie était adorable. Aujourd’hui, elle doit avoir vingt-cinq ans à peu près. J’espère qu’elle est heureuse.

Comme n’importe qui l’aurait fait, je me suis demandé si j’aurais pu, d’une manière ou d’une autre, éviter ce drame. Marie n’avait pas quarante ans. Elle était désabusée de tout et aigrie. Elle habitait à dix mètres de chez moi mais je n’ai rien vu venir. Je ne m’en veux pas mais je pense souvent à elle, et à ce qui peut détruire les gens.

(non mais) Sérieusement.

Gifnem29

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9 commentaires sur “Fait divers

  1. Quand j’étais à l’université, j’ai rencontré un garçon qui connaissais une fille dont j’étais amoureux au lycée. (Elle n’a pas du tout partagé ce sentiment.) On a joué au billiard plusieurs fois cette année-là. Mais il n’a pas retourné à l’université l’année prochaine. Pourquoi ? Parce que cet été, il a tué ses deux parents avec une batte de baseball. On ne sait jamais.

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  2. brrr, je pense que je ferais des cauchemars toutes ma vie à votre place et quant à la petite fille, aucune thérapie ne venir à bout de ce traumatisme. Oui, doit on intervenir ou pas ? jusqu’à quel point est on responsable de la vie des autres ? Pour ma part, j’essaie d’intervenir le moins possible dans la vie de mes grands enfants, alors, celle des voisins ? hum… pas une humeur très légère à ce que je vois !

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