Un homme ordinaire

Je ne sais pas vous, cher lectorat attentif, mais moi, parfois, j’aime raconter des souvenirs.

Voilà un petit moment que j’ai envie de vous raconter cette histoire. Maintenant, vous êtes grands et capables d’entendre le pire de ce que l’humanité peut couver en son sein.

Dans une autre vie, j’ai été prof. J’ai enseigné dans une vingtaine d’établissements avant de me sédentariser. A chaque fois, l’accueil était sensiblement le même. Une ou un collègue se dévouait pour me prendre en charge afin de me permettre de me familiariser avec les lieux. En général, je gardais un très bon contact avec cette personne.

Dans le dernier collège où j’ai officié, c’est un homme un peu plus âgé que moi qui m’a pris sous son aile. Il était affable, amusant, un peu égocentré sans doute, mais rien qui pouvait me mettre en garde. Pendant deux ou trois ans, je le considérais presque comme un ami. Toutefois, des petits riens attiraient mon attention. Tout d’abord, il avait une tendance irritante à « sauter » sur le paletot de tout nouvel arrivant, et notamment les collègues débutants. Il entendait leur apprendre la « vie » de prof. Bon, pourquoi pas. Sauf qu’en laissant traîner mes oreilles, j’entendis « malgré moi » le discours qu’il leur tenait. Il leur affirmait, par exemple, qu’il était le prof préféré des enfants. Déjà, il faut être gonflé pour sortir ce genre de truc. De plus, pratiquant l’échange de fluides avec une jeune surveillante, je savais, de source sûre, que c’était loin d’être le cas. En réalité, il terrorisait les gosses. Mais comme, en tant que syndicaliste acharné, il était absent un bon tiers de l’année, les cancres l’appréciaient. Mon amie, dans le cadre d’un stage IUFM, avait suivi ses cours pendant un mois. Ce qu’elle m’en dit était sidérant. Primo, les gamins pouvaient mâcher du chewing-gum dans sa classe, attitude bien entendu interdite par le règlement intérieur mais attirant la sympathie, forcément. Secundo, il passait son temps à raconter sa vie, voir sa vie intime. Tertio, pour obtenir de bons résultats, il donnait l’intitulé de ses évaluations, la veille du devoir. Audi Quattro, il infligeait du jazz en fond sonore à ses classes. Club des cinquo, ce pédagogue moderne (comme il aimait à se surnommer) (il avait mis en place le no-notes avant l’heure, se fichant totalement de fausser la moyenne générale des mômes) se plaisait à punir les enfants comme dans les années 50, à base de lignes et d’humiliation. Sexto, il était un peu trop tactile avec les jeunes (malgré le portrait peu flatteur, je précise qu’il était tactile comme un père, persuadé que les gamins le voyait comme tel).

Petit à petit, mon regard changea. Lorsqu’il exposait son opinion aux jeunes collègues, il se tenait très près d’eux, filles comme garçons, et se caressait le buste. Il exécrait, par principe, la hiérarchie, et insultait ouvertement le principal. Il ne venait jamais aux réunions, pourtant obligatoires, mais faisait passer sa voix par le biais de collègues qui lui étaient entièrement dévoués. Il ne participait à aucune cagnotte et ne payait jamais sa participation au café bien qu’il en ingurgita un litre par jour. Il ne venait jamais au repas de fin d’année.

Je m’éloignais de lui et il me le fit payer en me classant dans le groupe des « lèche-cul », autrement dit, ceux qui entretenaient de bons rapports avec la direction.

Survinrent deux événements.

Le premier ne me concerne pas directement. Un jour, une ancienne élève revint au collège pour un stage d’observation (toujours IUFM) auprès d’une collègue de SVT. La jeune fille était toute gênée de se trouver en salle des faignasses (salle des profs si vous préférez). Nous la saluions d’un sourire, d’un petit mot. Lui la serra dans ses bras et lui colla deux grosses bises baveuses. Quelques minutes plus tard, le hasard fit que je montais l’escaler juste derrière elle, et je l’entendis avouer à ma collègue : « Je viens de revivre un traumatisme d’enfance ». Elle en tremblait.

Le second événement se déroula en toute fin d’année. Toujours en salle des faignasses, je discutais avec une collègue. Je râlais car un mouvement de grève était annoncé lors des corrections du DNB. Je dis, en substance : « A cause de ces enfoirés, nous allons avoir deux fois plus de copies que d’habitude ». La salle était presque vide, mais lui buvait un café dans un coin. En un clin d’œil, il fut face à moi et tint, à peu près, le discours suivant : « Tu n’as pas le droit de parler ainsi. La grève est un droit constitutionnel. Je ne sais pas e qui me retient de te balancer par la fenêtre. Si je te croise dans la rue, je t’éclate la gueule… », et beaucoup plus encore. C’était si violent que la collègue avec qui je discutais, fondit en larmes. J’ai même déposé une main courante au commissariat. Le flic qui s’est occupé de moi (et qui m’a déconseillé de porter plainte) m’a dit un truc étrange. « Je le connais votre collègue. Enfin pas lui. Les mecs comme lui. On appelle ça des pervers narcissiques ».

Quelques temps plus tard, je racontais les histoire de ce bonhomme à ma cousine qui me dit : « Cherche pas, c’est un pervers narcissique ».

Je ne vous ai raconté qu’une petite partie de ses méfaits. J’aurais pu rajouter la victimisation systématique et la manipulation pernicieuse.

Un vrai sale type.

Non, mais sérieusement.

Gifnem29

12 commentaires sur “Un homme ordinaire

  1. IUFM, SVT, DNB. Je suis largué, moi. Le seul sigle que nous utiiisions était TME, Travaux Manuels Éducatifs (on nous apprenait à faire des tirelires en carton et des échasses qui finissaient dans le bois en face.
    Quoique, en y repansant, un beau jour, on nous a dit que la gymnastique ce n’était plus de la gymnastique, mais de l’EPS. Ç’a changé ma vie!

    Aimé par 2 personnes

    1. Et des tableaux en fil et pointes, non ?
      Institut Universitaire de Formation des Maîtres (ça a changé de nom depuis ; ça change e nom tous les deux ans)
      Sciences de la Vie et de la Terre (Sciences Nat, pour les vieux.
      Diplôme National du Brevet (BEPC, pour les vieux)
      De rien.

      J’aime

  2. Un truc qui me vient surement sans rapport mais bon … je me demande si le nom de la lessive Coral a été pompé sur Règlement de comptes à Ok Corral… sinon je vois que l’école n’a pas changé depuis la dernière fois que j’y suis allé, ça donne pas envie d’y retourner 😉

    Aimé par 1 personne

  3. Je suis certaine que nous en avons tous connu un comme ça que ce soit dans les établissements scolaires ou dans le monde du travail en général.
    Ils sont dangereux mais jamais emmerdés.
    C’est l’enfer quand ils sont dans ton environnement, il est préférable d’ignorer autant que possible (pas si simple).
    Ça fait du bien de s’exprimer hein 😉

    Aimé par 2 personnes

Répondre à jourdhumeur Annuler la réponse.